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Les mots qui restent (1901) | |
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Une légende, qui tend à perdre de son crédit, veut que, dans la nuit du 15 au 16 octobre 1760, avant la bataille de Clostercamp (couvent de Campen, Prusse rhénane), le chevalier d'Assas, officier au régiment d'Auvergne, chargé de faire une reconnaissance, et se trouvant inopinément entouré d'Anglais, ait donné le signal d'alarme en s'écriant : « A moi, Auvergne, ce sont les ennemis ! » C'était son arrêt de mort : il tomba criblé de coups de baïonnettes.
Cette version, mise en circulation par Voltaire, a été soumise à une critique sévère, d'abord dans quelques pages de l'Esprit dans l'histoire, d'Edouard Fournier, puis dans une étude beaucoup plus approfondie de M. Jules Loiseleur, publiée dans la Revue des questions historiques (1er juillet 1872, p. 123).
Ces deux auteurs ont déjà signalé la plupart des documents dont nous allons parler.
Voltaire, qui, par une singulière inadvertance, place cet épisode au 15 octobre 1758, n'en avait pas dit un mot dans la première édition de son Précis du siècle de Louis XV (1768). Ce n'est que dans l'édition in-4° de 1769 que, sur une lettre de réclamation du chevalier de Lorry, lieutenant-colonel (ou major) au régiment d'Auvergne, lettre insérée dans le Mercure de France d'avril 1769 (p. 170 du 1er vol.), il se décida à raconter l'anecdote. (Tome XII de la Collection complète de ses Œuvres, Genève, 1769, p. 351.)
Cependant, des protestations ne tardèrent pas à se produire. Elles furent adressées directement à Voltaire, comme l'indique sa réponse au comte de Schomberg, en date du 31 octobre 1769. Il n'en tint toutefois aucun compte, et se contenta d'en éprouver « des remords ».
D'après certains témoignages recueillis dans les Nouveaux mémoires secrets et inédits de Grimm 1834, t. I, p. 188), ouvrage notoirement apocryphe, et qui ne fait d'ailleurs que reproduire à peu près la version de Lombard de Langres, ce serait, non pas le chevalier d'Assas, mais un sergent de sa compagnie, nommé Dubois, qui se trouvait à ses côtés, qui aurait poussé le premier cri d'alarme. Lombard de Langres affirme le fait sur la foi de son père, qui aurait entendu Dubois crier, et d'Assas, blessé grièvement, dire à ceux qui l'emportaient : « Enfants, ce n'est pas moi, c'est Dubois qui a crié. » (Mémoires anecdotiques, 1823, liv. I, chap. x.)
Il est toutefois fort douteux que l'un ou l'autre de ces deux braves soldats se soit trouvé dans la nécessité de sacrifier sa vie pour sauver le reste du régiment. On s'appuie, pour le contester, sur le récit du comte de Rochambeau, colonel au régiment d'Auvergne, bien placé par conséquent pour connaître la vérité sur l'affaire de Clostercamp, et qui d'ailleurs, ayant créé lui-même la compagnie de chasseurs dont faisaient partie d'Assas et Dubois, n'aurait pas manqué de faire valoir un trait d'héroïsme dont il aurait lui-même recueilli quelque honneur.
Or, d'après ses Mémoires, publiés en 1809, deux ans après sa mort, voici comment les choses se seraient passées (t. I, p. 162) :
Rochambeau, averti de la présence de l'ennemi, est violemment attaqué une heure avant le jour. Il ordonne aux grenadiers et aux chasseurs de faire feu et de tenir à leur poste jusqu'à la mort. D'Assas, placé à l'extrémité de l'aile gauche, est attaqué et se défend vigoureusement. Un officier lui crie qu'il se trompe et tire sur ses propres troupes. Il sort du rang pour se rendre compte de l'exacte position des Anglais, et crie : « Tirez, chasseurs, ce sont les ennemis ! » Il tombe aussitôt percé de coups.
Cette version, bien qu'elle fasse le plus grand honneur à la vaillance du chevalier, est, on le voit, sensiblement différente de celle qui le représente comme allant explorer le terrain avant le combat, et se vouant à une mort certaine.
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