Cette singulière locution, dont le sens est : Nous avons le temps, il est inutile de tant se presser — ne peut guère avoir pris naissance que parmi les populations provençales.

On sait combien était importante et célèbre, aux derniers siècles, la foire qui se tenait à Beaucaire, au mois de juillet. Il y venait des marchands, non-seulement de tous les points de la France, mais encore d'Afrique, d'Orient, d'Espagne, d'Italie, d'Angleterre, même de Russie et de Danemark.

On sait également que Beaucaire, séparé de Tarascon par le Rhône, était relié à cette dernière ville par un pont de bateaux. De sorte que les Provençaux, les Italiens et les Orientaux qui se rendaient à la foire de Beaucaire, ne pouvaient arriver à leur destination qu'en traversant Tarascon et en passant ensuite le pont de bateaux.

Tarascon se ressentait naturellement du commerce et de l'animation de Beaucaire pendant la fameuse foire de juillet. Il est même probable que nombre d'étrangers et de marchands ne trouvant plus de place à Beaucaire, pour leur personne ou pour leurs marchandises, créaient à Tarascon une sorte de foire presque aussi importante que celle qui se tenait de l'autre côté du Rhône. On comprend dès lors que, au fort de la foire, le pont qui relie les deux villes devait être encombré et d'un accès difficile, si, comme il y a lieu de le supposer, il était bordé de boutiques et d'échoppes. Au moyen âge, en effet, presque toujours, les ponts étaient pour ainsi dire le point central des halles et des marchés, le rendez-vous où chacun était sûr de rencontrer ceux qu'il cherchait. De nos jours encore, dans les villes où il y a des ponts, cet endroit est choisi, de préférence à tout autre, comme lieu de rendez-vous.

Lorsque la foire de Beaucaire ne faisait que commencer, les étrangers qui s'y rendaient par la route de Provence ne trouvaient que peu d'encombrement, en passant de Tarascon à Beaucaire par le pont du Rhône. Mais lorsque la foire était dans son fort, du 15 au 25 juillet, il devait leur être difficile, non-seulement de trouver à Beaucaire un logement et un emplacement pour leurs marchandises, mais même d'y parvenir, parce que la foire occupait toute la ville et couvrait le pont lui-même.

Il est donc probable que la locution la foire n'est pas encore sur le pont fut créée par des Provençaux qui, se rendant à Beaucaire dès le commencement de la foire, savaient que le pont n'était pas encore encombré, et qu'il n'y avait pas lieu pour eux de se presser.