Pline, le naturaliste, rapporte que l'autruche, lorsqu'elle est poursuivie par les chasseurs, se croit en sûreté si elle parvient à trouver un endroit où elle puisse cacher sa tête.
Belon, le créateur de l'histoire naturelle en France, écrivait à son tour, il y a trois cents ans : « Et si d'aventure elle trouve un buisson, l'on dit qu'il est si sot oiseau, que se cachant seulement la tête, pense que tout le reste du corps en est sauveté. »
Belon avait copié Pline, et, depuis lors, des centaines d'écrivains ont copié Belon.
Buffon a enregistré cette assertion, sans la contredire, mais sans lui prêter son autorité.
Les voyageurs contemporains sont unanimes à déclarer que le récit de Pline est une fiction.
Tant mieux pour l'autruche, car si Pline avait dit vrai, il faudrait donner raison au dicton qui fait de cet oiseau l'un des symboles de la sottise.
Faire comme l'autruche signifie en effet : espérer se tirer d'affaire par une ruse grossière, — vouloir donner le change à plus malin que soi.
« L'autruche, dit M. Victor Meunier, ne mérite en aucune façon la réputation de stupidité que les auteurs lui ont faite à l'envi les uns des autres. C'est un oiseau doux, gai, pacifique, vigilant, éminemment sociable et auquel ne manque, quoi qu'on en ait dit, aucun des instincts de la famille. M. Cumming surprit un jour une troupe de douze autruches qui n'étaient pas plus grosses que des pintades : « La mère, dit-il, chercha à nous tromper à l'instar du canard sauvage ; elle partit, étendant ses ailes, puis se laissa tomber à terre comme si elle eût été blessée, tandis que le mâle s'éloignait sournoisement avec les petits dans une direction opposée. »
« Livingstone a rencontré plusieurs fois de jeunes couvées » allant sous la conduite d'un mâle qui s'efforçait de paraître » boiteux, afin de détourner sur lui l'attention des chasseurs. »
L'autruche ne vole pas : l'exiguïté de ses ailes et la pesanteur de son corps s'y opposent; mais elle est plus agile à la course que le plus agile coursier du désert. Cependant c'est à cheval que les chasseurs parviennent à la forcer, car elle se fatigue plus vite qu'un cheval dont le cavalier sait ménager les forces, pour lui faire fournir, au moment décisif, un galop rapide. Quand les forces lui manquent, elle s'arrête, s'accroupit sur le sol, et le chasseur peut alors, tant elle est épuisée, la faire marcher à côte de lui sans qu'elle cherche à s'échapper.
Il n'est pas impossible qu'une autruche, forcée à la course, soit allée tomber, la tête la première, dans un buisson et y ait attendu le bon vouloir de son vainqueur. Mais aucun voyageur moderne ne rapporte ce détail.
Du reste, quand même l'autruche agonisante se cacherait la tête dans le sable ou dans un buisson pour mourir, il n'y aurait là aucune preuve qu'elle est stupide et qu'elle espère, par ce stratagème, sauveter le reste de sa personne. César aussi se cacha la tête dans son manteau pour mourir, lorsqu'il reconnut que la lutte contre ses assassins devenait impossible. Pourtant personne ne prétend que César, en agissant de la sorte, ait eu l'espoir de dérober son corps au poignard de Brutus. Pourquoi être plus sévère pour l'autruche que pour César?