Il arrive assez souvent qu'une personne, en quittant une réunion où il n'y avait que des intimes, prend congé par cette formule familière :
Mes amis, je m'en vais ou je m'en vas.
Cette phrase appartient à l'histoire.
Le père Bouhours, l'auteur des Doutes sur la langue française et de la Manière de bien penser, philologue passionné, que ses querelles avec les académiciens rendirent célèbre, et dont Mme de Sévigné disait que l'esprit lui sortait par tous les pores, venait d'entendre sonner la dernière heure d'une existence consacrée à peu près exclusivement à la défense de la syntaxe. Il était tombé dans ce demi-sommeil silencieux et inerte qui précède quelquefois la mort, et ses amis le croyaient trépassé. Tout à coup la voix faible du moribond se fait entendre : « Mes amis, je m'en vais ou je m'en vas; l'un et l'autre se dit ou se disent.»
Le père Bouhours n'avait pas voulu quitter ce monde sans payer un dernier tribut à la grammaire.
Les dernières paroles de Thomas de Lagny, mathématicien du dix-huitième siècle, peuvent servir de pendant à celles du père Bouhours. Sur le point de mourir, il perdit totalement la voix et ne put répondre à des questions très importantes qui lui furent posées. Quelqu'un s'avisa alors de lui demander quel était le carré de douze. L'agonisant fit un effort suprême, un souffle glissa sur ses lèvres, et le questionneur put entendre cette réponse : cent quarante quatre.
Commentaire d'un internaute :
La célèbre phrase (au plan grammatical) que vous attribuez au Père Bouhours : « je m'en vais ou je m'en vas, l'un et l'autre se dit, ou se disent » est, en fait, de l'éminent Vaugelas, l'un des quarante premiers Immortels de notre Académie française, non moins passionné de grammaire que ce père jésuite qui aurait pu être son fils, et qui a connu suffisamment d'injustices dans sa vie pour qu'on ne lui vole pas ses derniers mots d'agonisant !.
Jérôme TIMAL