Dans les premiers temps de l'Eglise, le jeûne du carême et des vigiles était observé avec la plus scrupuleuse rigueur. Les fidèles ne prenaient qu'un repas par jour, vers le soir, et ce repas ne pouvait se composer que de pain, de légumes et d'eau.
Plus tard, la discipline se relâcha sur ce point, et l'usage du vin, du poisson, des œufs et du laitage fut toléré, par quelques évêques d'abord, par tous dans la suite.
Ces tolérances des évêques rencontrèrent de violentes oppositions parmi les casuistes du moyen âge, et plus d'une rame de parchemin fut brouillée pour prouver que les œufs, provenant des poules, et le beurre, provenant des vaches, étaient des aliments gras, et que, par conséquent, leur usage ne pouvait pas être admis en carême. Ces bons dissertateurs ne prenaient pas la peine de songer que le pauvre serf, ne pouvant tuer sa vache pour faire la soupe, puisque l'usage de la viande était prohibé, n'ayant pas encore de légumes dans son jardin et souvent guère de pain dans sa huche, était fort embarrassé pour ne pas mourir de faim, s'il voulait observer le jeûne primitif dans toute sa rigueur.
C'est surtout sur l'article poisson que s'escrimèrent certains docteurs de l'époque. Le poisson est chair, disait l'un, puisque c'est un animal. — Le poisson n'est pas chair, répondait l'autre, puisqu'il vit d'eau (le poisson vit des myriades d'animalcules invisibles qui peuplent les eaux, mais on pouvait l'ignorer à une époque où le microscope n'était pas inventé). Les disputes devinrent bien autrement véhémentes lorsqu'elles tombèrent sur certains oiseaux aquatiques, la poule d'eau, par exemple. Tous les savants de l'antiquité furent mis à contribution et il coula des torrents de syllogismes, de dilemmes, de sorites sur la constitution intime du pauvre volatile, qui tantôt était chair, tantôt était poisson. Plus d'un grand homme à moins fait parler de lui.
Le peuple, qui ne retient guère des événements que le côté pittoresque, a perpétué le souvenir de ces discussions par une locution aussi originale que caractéristique. Ni chair ni poisson se dit des choses dont la nature n'est point bien définie, d'une conduite louche, d'une opinion douteuse. Certains personnages politiques, qui ont étudié la rosé des vents de l'opinion et pris des brevets pour le perfectionnement des girouettes, méritent quelquefois qu'on leur applique la locution ni chair ni poisson. C'est peut-être un tort; à notre avis, ils sont plutôt poissons, ayant la faculté de fort bien nager entre deux eaux.
