Hercule avait à peu près trente-trois ans lorsqu'il termina le dernier des douze travaux que l'oracle de Delphes lui avait ordonné d'exécuter, pour expier quelques peccadilles de jeunesse, en particulier le meurtre de ses trois enfants.
Heureux d'avoir donné satisfaction à la justice des dieux, la conscience en repos, il comprit que le moment était venu de se ranger et de vivre en honnête homme. Il commença donc par répudier sa femme et, comme on lui refusait la main d'Iolé, fille du roi Eurytus, il tua le frère de la jeune fille.
L'oracle de Delphes, n'admettant pas cette façon de se ranger, ordonna au turbulent Hercule de se vendre comme esclave. Hercule dut obéir, et fut acheté pour le compte d'Omphale, reine de Lydie. Il se distingua si bien dans une guerre, qu'Omphale le fit comparaître devant elle et, sans cérémonie, lui offrit sou cœur, qu'il accepta également sans cérémonie. Mais Omphale était capricieuse, et fit subir au redoutable héros toutes sortes d'avanies, auxquelles il se prêta, d'ailleurs, de bonne grâce. Par exemple, elle lui passait son aiguille et lui ordonnait de coudre des agrafes; lui tendait sa quenouille et le forçait à filer. « Tandis qu'Omphale, couverte de la peau du lion de Némée, tenait la massue, Hercule, habillé en femme, vêtu d'une robe de pourpre, travaillait à des ouvrages de laine et souffrait qu'Omphale lui donnât quelquefois de petits soufflets avec sa pantoufle. » (Lucien.)
Fénélon fait dire à Philoctète : « Je suivais partout le grand Hercule, qui a délivré la terre de tant de monstres, et devant qui les autres héros n'étaient que comme sont les faibles roseaux auprès d'un grand chêne, ou comme les moindres oiseaux en présence de l'aigle. Ses malheurs et les miens vinrent d'une passion qui cause tous les désastres les plus affreux, c'est l'amour. Hercule, qui avait vaincu tant de monstres, ne pouvait vaincre cette passion honteuse ; et le cruel enfant Cupidon se jouait de lui. Il ne pouvait se ressouvenir, sans rougir de honte, qu'il avait autrefois oublié sa gloire jusqu'à filer auprès d'Omphale, reine de Lydie, comme le plus lâche et le plus efféminé de tous les hommes; tant il avait été entraîné par un amour aveugle. Cent fois il m'a avoué que cet endroit de sa vie avait terni sa vertu, et presque effacé la gloire de tous ses travaux. » (Télémaque )
La locution filer le parfait amour n'a cependant pas le sens que semble lui attribuer son origine. Généralement, elle signifie : avoir on tête quelque amour romanesque — ou bien : persister dans une affection. On dira d'un jeune homme qui aura fait trois ans la cour à une jeune fille avant de pouvoir obtenir sa main, — qu'il a filé pendant trois ans le parfait amour.
Quelquefois cette locution est ironique.
Hercule filant aux pieds d'Omphale symbolise l'homme de mérite qui s'oublie dans une passion indigne de lui. Les Omphales de nos jours ont, comparativement à leur devancière, des désavantages marqués : d'abord, elles ne sont pas reines, mais généralement filles de portières; ensuite, leurs adorateurs sont quelquefois obligés de filer... jusqu'à la frontière.