Quand on parcourt les recueils d'ordonnances édictées au moyen âge, et même pendant les derniers siècles, par les rois, les soigneurs ou les communes, sur les questions d'industrie et de commerce, on est tenté de croire qu'un artisan, avant d'apprendre son métier, devait d'abord passer plusieurs années à étudier la législation qui régissait ce métier. Les détails les plus minutieux étaient prévus, et chaque infraction entraînait une amende, ou pire encore. Pour les tisserands, par exemple, les règlements fixaient non seulement la qualité du fil, la longueur, la largeur de la pièce, la disposition de la trame, des portées, de la chaîne, mais encore
le nombre des fils qui devaient entrer dans la pièce. Et il ne fallait pas plaisanter avec ces règlements : l'un d'eux portait que le tisserand prévaricateur aurait le poing coupé. Heureusement, on l'appliquait rarement.
Alexis Monteil, à qui l'on doit des études si précieuses sur l'histoire des classes populaires, a copié dans les archives d'Abbeville une ordonnance concernant les cordiers, laquelle interdit de mêler des étoupes au fil de chanvre, de recouvrir « noir file pelé de blanque œuvre » , d'employer « canvre embouquié, canvre mouillé et tous fieux mouillés, » etc., etc.
Les tisserands ou cordiers qui se mettaient en contravention avec les ordonnances, et fabriquaient de « malvaises denrées», étaient exposés à voir leurs marchandises « arses» (brûlées) sur la place publique, ou à payer une amende, ou à être incarcérés, quelquefois mutilés, comme voleurs, en cas de récidive. La plupart du temps, ils obtenaient, moyennant une amende, de reprendre leurs marchandises, soit pour les remettre sur le métier soit pour les employer, à leur propre usage. Cette dernière alternative était possible pour les tisserands, mais peu praticable pour les cordiers, excepté ceux qui avaient l'intention de se pendre. Il leur fallait donc alors détordre les cordes, remettre dans son état primitif le chanvre qui avait servi à les confectionner, rejeter les « estouppes et fleux embouquiés », et procéder à un nouveau tordage.
On conçoit facilement que cette opération ait pu les mettre de mauvaise humeur, et qu'ils se soient plaints de ce que l'autorité leur donnât trop de fil à retordre.
Un règlement du même genre pesait sur les retordeurs de fil de laine. Avant de livrer leur fil pour être mis au métier, ils devaient le soumettre à l'examen d'agents spéciaux qui leur accordaient ou leur refusaient leur estampille. Dans ce dernier cas, il fallait recommencer la besogne et retordre le fil jusqu'à ce qu'il fût déclaré irréprochable.
De nos jours, l'autorité ne donne plus de fil à retordre, mais on lui en donne singulièrement.