Le petit doigt d'un chasseur. Les bulletins de guerre, si contradictoires selon la source d'où ils émanent, présentent parfois un caractère de naïve exagération dont on ne peut s'empêcher de sourire.
C'est ainsi qu'au début de la guerre hispano-américaine, dans la reconnaissance que les Américains firent à Matanzas le 28 avril 1898, ils se vantèrent d'avoir mis une soixantaine d'Espagnols hors de combat. De leur côté, les Espagnols n'avouèrent que la perte d'un mulet (dépêche de Madrid du 29).
On se souvient que, les projectiles espagnols ayant atteint, parait-il, un malheureux requin, ce combat était devenu légendaire sous le nom de « bombardement de la mule et du requin ».
Un des plus célèbres bulletins de ce genre est celui que le général Beurnonville adressa au ministre de la guerre, le 20 décembre 1792, et dont il fut donné lecture le lendemain, à la Convention.
Le général annonçait que la République française était enfin maîtresse du territoire situé entre la Sarre et la Moselle jusqu'au pont de Consaarbrück.
« Les deux affaires d'hier, disait-il, ont été dirigées par le général Landremont. L'on ne peut trop estimer la perte des ennemis, que l'on croit être très grande... La nôtre se réduit, par leur maladresse en tirant trop haut ou trop bas, à la perte du petit doigt d'un de nos chasseurs. »
II ajoutait que dans les dix ou douze affaires qui avaient marqué cette expédition, on n'avait perdu que 7 tués et 60 blessés, tandis que 1200 ennemis avaient été mis boite de combat. (Moniteur du 23 décembre.)
L'étrange dépêche de Beurnonville fit la joie des Parisiens et fut saluée par ce couplet :
Quand d'ennemis tués on compte plus de mille,
Nous ne perdons qu'un doigt, encor le plus petit !
Holà ! monsieur de Beurnonville,
Le petit doigt n'a pas tout dit.
_____ (Biogr. Michaud.)