Cette expression, d'origine exotique, s'est tellement acclimatée dans notre langage depuis quelques années, que nous n'hésitons pas à l'enregistrer ici.
On sait que c'est le célèbre romancier anglais, William Makepeace Thackeray (1811-1863), qui l'a, non pas créée, mais mise à la mode avec le sens spécial que les Anglais lui ont conservé.
Thackeray a consacré aux différentes catégories de personnes qu'il a désignées sous le nom générique de Snobs, une monographie qui parut d'abord dans le Punch en 1846 et 1847, et qu'il a publiée ensuite, en janvier 1848, dans un volume intitulé the Book of Snobs.
D'où venait ce mot et comment s'est-il rencontre sous la plume du spirituel humoriste ? Voici ce que nous ont appris à ce sujet quelques notices qui le concernent.
Entré au « Trinity collège » de Cambridge, en février 1829, Thackeray fut un des collaborateurs du Snob, « journal littéraire et scientifique, non dirigé par les membres de l'Université, » qui parut du 9 avril au 18 juin de la même année. On croit même que c'est lui qui donna son titre à cette petite feuille.
D'après M. Leslie Stephen, rédacteur de l'article que lui a consacré l'excellent Dictionary of national biography (t. XVI, p. 90 et suiv.), le mot « Snob » paraît avoir été appliqué alors aux bourgeois (townsmen), par opposition aux gens de robe (gownsmen). Il était surtout employé dans les universités.
La série que Thackeray commença dans le Punch, le 28 février 1846 (t. X, p. 101), avait pour titre : les Snobs d'Angleterre, par l'un d'eux. Elle était accompagnée de dessins humoristiques de l'auteur, rappelant souvent le genre de Cruikshank.
Elle comprend cinquante-trois chapitres, dont sept ont été supprimés dans l'édition anglaise, et se continue jusqu'en 1847 (t. XII, p. 85).
Dans un chapitre préliminaire, Thackeray s'annonce plaisamment comme l'historien prédestiné des snobs et du snobisme (snobbish).
« Au commencement, écrit-il, Dieu fit le monde, et avec lui les Snobs ; ils sont de toute éternité, sans être plus connus que l'Amérique avant sa découverte. Aujourd'hui seulement, postquam ingens patuit Tellus, la foule a fini par avoir un vague sentiment de l'existence de cette race ; mais il y a vingt-cinq ans à peine qu'un nom, monosyllabe bien expressif, fut mis en circulation pour la désigner ; ce nom parcourut ensuite l'Angleterre dans tous les sens... A l'heure marquée, le Punch a paru pour enregistrer leur histoire, et voici l'homme prédestiné à écrire cette histoire dans le Punch. » (Trad. Georges Guiffrey, 1871, p. ô.)
Thackeray semble avoir hésité, au début de son ouvrage, sur la signification qu'il entendait donner au mot Snob. Il commence par l'appliquer à un rustre, à un goujat, et, d'une manière générale, à l'homme qui foule aux pieds les règles de la civilité puérile et honnête. Or, le snob, tel qu'il nous le présente dans la suite de son étude, n'est plus en réalité que ce que nous appelons un sot, au sens le plus général du mot, un homme imbu de préjugés mesquins et de sentiments vulgaires. Il incarne aussi bien le mépris des supérieurs pour les inférieurs que la plate admiration des inférieurs pour leurs supérieurs : vanité hautaine en haut de l'échelle sociale, bassesse et servilité sur les derniers degrés, voilà ce qui caractérise le snob.
« L'état de notre société, dit-il (p. 21 de la traduction française), veut que le dernier manant soit aussi Snob dans sa bassesse que le noble lord est Snob dans son outrecuidance. »
Et plus loin (p. 199) :
« Lisez un peu la gazette des modes de cour, les romans aristocratiques ;... et vous verrez que le Snob pauvre n'est occupé qu'à contrefaire le Snob riche ; que le noble courtisan s'aplatit devant le Snob vaniteux, que le Snob des hautes régions se donne de grands airs vis-à-vis de son confrère d'un échelon inférieur. »
Thackeray a vu ce type pulluler dans toutes les classes de la société et lui a déclaré une guerre sans merci. Il l'a découvert et démasqué sous la livrée des laquais comme sous le manteau royal, sous l'uniforme militaire comme sous les habits ecclésiastiques, l'a observé dans les différents actes de la vie sociale : à table, en voyage, aux courses, dans le mariage, en amour, dans les salons, dans les clubs. Et on arrivant au dernier chapitre, il s'aperçoit que la liste des snobs est encore loin d'être épuisée, et cela parce qu'en réalité elle est inépuisable.
En passant sur le continent, le mot snob nous paraît avoir légèrement changé de signification.
Pour nous Français, il s'applique peut-être plus spécialement à l'homme qui se rend esclave de la mode et du toutes les conventions de la vie factice. C'est bien aussi un sot, mais d'une espèce un peu particulière. Celui qui se montre dans un lieu public, non pour le plaisir qu'il y trouve, mais pour y être vu et pour pouvoir dire qu'il y a été, est « snob ». Snob, celui qui veut paraître appartenir à une classe supérieure à la sienne ; qui ne fait que ce qu'il croit chic ; qui affecte une opinion qu'il n'a pas, parce qu'elle est de bon ton ; qui, en fait d'art, conforme son jugement à celui de la majorité ; qui s'affuble de tel ou tel vêtement pour imiter quelque grand personnage. N'est-ce pas là bien exactement ce que nous entendons par snob ? Ce n'est qu'une des variétés du snob des Anglais.
M. Emile Faguet, dans une intéressante étude qu'ont donnée les Annales politiques et littéraires du 17 mai 1896 (p. 306), a déjà indiqué ce changement de sens, mais il nous semble que, songeant surtout aux premiers chapitres de Thackeray, il en a beaucoup exagéré l'importance.
Nous mentionnerons, pour mémoire, une comédie de M. Gustave Guiches, intitulée Snob, qui fut jouée le 5 avril 1897 au théâtre de la Renaissance. On a reproché à l'auteur de n'avoir pas présenté dans cette pièce des snobs assez nettement caractérisés.