« L'exploitation de l'homme par l'homme. »Vieille rengaine que nous resservent périodiquement les philanthropes et les socialistes. C'est un de ces mots à effet, de ces lieux communs dont on a abusé pour légitimer les revendications des prolétaires contre les « infâmes » capitalistes qui « s'engraissent de la sueur du peuple ».
Cette précieuse formule a été inventée, en 1828, paraît-il, par les saint-simoniens.
Dès cette année, nous la voyons figurer dans une lettre du père Enfantin à sa cousine Thérèse Nugues (du 15 novembre).
Le continuateur de Saint-Simon, exposant sa doctrine au double point de vue religieux et politique, écrivait :
« Le principe de l'exploitation sans travail de l'homme par l'homme a dirigé en partie les actes humains et a donné son caractère à nos lois civiles sur la propriété, à celles qui traitent encore les femmes comme des mineurs, qui les font désirer pour leurs dots et non pour leurs vertus, etc. »
(Œuvres de Saint-Simon et d'Enfantin, t. XXV, 1872, p, 109, note.)
En 1840, au banquet du XIIe arrondissement, manifestation en faveur de la réforme électorale, le banquier Goudehaux proclamait « la nécessité de régénérer le travail, soumis aujourd'hui à l'exploitation de l'homme par l'homme ». (Thureau-Dangin, Histoire de la Monarchie de juillet, t. IV, p. 182.).
Le 10 avril 1848, les corporations arboraient des bannières avec cette inscription : Abolition de l'exploitation de l'homme par l'homme. (Annuaire historique, p. 162.)
Peut-être va-t-on nous reprocher de traiter avec trop peu de respect une formule qui, après tout, a sa valeur, et qui, alors qu'elle était encore dans sa fraîcheur et n'était pas tombée au rang de vieux cliché, a excité l'admiration d'hommes dont le jugement n'est pas à dédaigner.
Henri Heine disait, dans la préface de ses Reisebilder (Tableaux de voyage), datée de 1834 (p. 4) :
« La belle formule que nous devons, ainsi que beaucoup d'excellentes choses, aux saint-simoniens, l'exploitation de l'homme par l'homme, nous conduit bien par delà toutes les déclamations sur les privilèges de la naissance. »