« Faut d'la vertu, pas trop n'en faut. » L'humble refrain de Monvel pouvait s'enorgueillir d'une ancienne et illustre généalogie.
Voici d'abord comment s'exprime Horace, dans son épître VI du Ier livre (v. 15-16) :
Insani sapiens nomen ferat, æquus iniqui,
Ultra quam satis est, virtutem si petat ipsam...
(Le sage mérite le nom de fou, le juste celui d'injuste, s'il recherche la vertu plus qu'il ne convient.)
Saint Paul donnait ce précepte aux Romains, dans son Épître, chap. XII, v. 3 :
« Dico enim... Non plus quam oporlet sapere, sed sapere ad sobrietatem. »
(Car je vous le dis... Ne soyez pas plus sage qu'il ne faut, mais soyez-le avec modération.)
Montaigne, dans ses Essais, paraphrase ainsi ces deux citations (liv. Ier, ch. XXIX) :
« Nous pouvons saisir la vertu, de façon qu'elle en deviendra vicieuse, si nous l'embrassons d'un désir trop aspre et violent : ceulx qui disent qu'il n'y a iamais d'excez en la vertu, d'autant que ce n'est plus vertu si l'excez y est, se iouent des paroles. »
En 1666, dans le Misanthrope, Molière fait dire à Philinte (acte Ier, scène Ire, Vers 151-152) :
La parfaite raison fuit toute extrémité,
Et veut que l'on soit sage avec sobriété.
Vient ensuite, par ordre chronologique, Quinault, qui, dans Armide et Renaud, tragédie lyrique (15 février 1686), fait chanter par une bergère, près de Renaud endormi (acte II, fin de la scène IV) :
Laissons au tendre amour la jeunesse en partage,
La sagesse a son temps, il ne vient que trop tôt ;
Ce n'est pas être sage,
D'être plus sage qu'il ne faut.
« Les mortels sont égaux : ce n'est point la naissance,
C'est la seule vertu qui fait la différence. »
Ces vers figurent dans deux tragédies de Voltaire : d'abord dans Ériphyle, qui fut jouée le 7 mars 1732 (acte II, scène Ire, rôle d'Aleméon), puis dans le Fanatisme ou Mahomet, représenté en avril 1741 (acte Ire, scène IV, rôle d'Omar).
Ériphyle n'ayant eu qu'un demi-succès, Voltaire retira la pièce après quelques représentations, mais il y reprit d'assez nombreux vers qu'il replaça dans d'autres ouvrages et dont plusieurs sont restés proverbiaux.
Les deux vers que nous venons de citer étaient suivis de ceux-ci :
C'est elle qui met l'homme au rang des demi-dieux ;
Et qui sert son pays n'a pas besoin d'aïeux...
Mes grandeurs sont à moi : mon sort est mon ouvrage...
Je n'ai plus rien du sang qui m'a donné la vie ;
Il a dans les combats coulé pour la patrie :
Je vois ce que je suis, et non ce que je fus,
Et crois valoir au moins des rois que j'ai vaincus.
Dans Mérope (20 février 1743), Polyphonte disait, à la scène Ire du IIIe acte :
Le premier qui fut roi fut un soldat heureux ;
Qui sert bien son pays n'a pas besoin d'aïeux,
Je n'ai plus rien du sang qui m'a donné la vie :
Ce sang s'est épuisé, versé pour la patrie :
Ce sang coula pour vous ; et, malgré vos refus,
Je crois valoir au moins les rois que j'ai vaincus.