Passants, contemplez la douleur
D'Absalon pendu par la nuque. On voyait autrefois, derrière la vitrine d'un perruquier du boulevard Bonne-Nouvelle, près de la porte Saint-Denis, un store sur lequel était peint Absalon pendu par les cheveux, avec cette inscription :
Passants, contemplez la douleur
D'Absalon pendu par la nuque.
Il eût évité ce malheur
S'il eut porté perruque.
Cette enseigne, qui dut disparaître vers 1864, ne devait rien à l'imagination du facétieux perruquier.
En 1805, Sallentin, dans le recueil qui a pour titre bizarre l'Improvisateur Français, parlait, à l'article PERRUQUE, d'une peinture toute semblable, accompagnée d'un quatrain presque identique, accrochée devant la boutique d'un « savant perruquier » de Troyes en Champagne.
Dès 1787, Nougaret signalait aussi, dans son Tableau mouvant de Paris (t. I, p. 29), une enseigne représentant Absalon, dans la même position critique, avec ces mots :
« Une perruque l'eut sauvé. »
On sait qu'Absalon, fils de David, s'était rendu célèbre par sa luxuriante chevelure.
« Lorsqu'il se faisait faire les cheveux, lit-on dans la Bible, (ce qu'il faisait une fois tous les ans, parce qu'ils lui chargeaient trop la tête), on trouvait que ses cheveux pesaient deux cents sicles. » (Le sicle pesait 20 oboles et l'obole 16 grains d'orge.)
Absalon, s'étant révolté contre son père, ses troupes furent défaites dans la forêt d'Ephraïm, où il trouva la mort. ;
« Absalon même, dit encore l'Écriture, fut rencontré par les gens de David : car, lorsqu'il était sur son mulet et qu'il passait sous un grand chêne touffu, sa tête s'embarrassa dans les branches du chêne ; et son mulet passant outre, il demeura suspendu entre ciel et terre. »
(IIe livre des Rois, XIV, 26, et XV, 9.)
Paul Verlaine, dans ses Confessions (1899, p. 40), nous parle de la joie que lui causait, dans ses promenades sur le boulevard vers 1851, la vue de la fameuse enseigne du perruquier :
« Ces « vers », dit-il, écrits au-dessous d'un tableau un peu sommairement peint mais non des moins impressionnants pour des yeux sans préjugés comme les miens d'alors (il avait environ sept ans), sont, je crois, les premiers que j'aie sus par cœur. Au fond, ils en valent bien d'autres qui ont fait et font encore plus de bruit. »