Vie de bâton de chaise. Pourquoi a-t-on adopté cette expression avec le sens de vie de polichinelle, vie agitée et désordonnée ? C'est là un mystère que nul n'a encore pu pénétrer.
On a hasardé quelques explications : on a prétendu, par exemple, qu'il y avait là une allusion, aux bâtons dont se servaient jadis les porteurs de chaises. Mais on ne voit pas trop en quoi lesdits bâtons pourraient fournir un terme de comparaison propre à caractériser une vie échevelée.
La question, posée dans l'Intermédiaire des chercheurs, n'a provoqué que des réponses d'une rare insignifiance (10 août 1897, col. 170).
Nous proposerons, à notre tour, une hypothèse qui pourrait bien nous mettre très près de la vérité.
On sait que, dès les premières années du règne de Louis-Philippe, la gaieté des Parisiens, longtemps comprimée par un régime austère, sembla vouloir prendre une éclatante revanche, et passa par une sorte de crise aiguë, qui atteignit son paroxysme à l'époque du carnaval, en 1834 et en 1835.
C'était lu temps où lord Seymour, surnommé milord l'Arsouille, étonnait Paris par ses luxueuses excentricités, que d'ailleurs ou se plaisait à exagérer.
On se ruait aux bals Musard, qui, après avoir quitté la salle des Variétés, et avant de pénétrer à l'Opéra, se donnaient alors rue Saint-Honoré, 359.
« Là, disait-on à propos de ce roi de l'orchestre, dans le Figaro du 3 mars 1835, tout obéit à ses fantaisies ; dépassant Rossini, il a placé le fracas dans l'orchestre ; la contredanse de la chaise cassée se termine par la criaillerie de cinquante chaises brisées du même coup. Le fouet, le pistolet, le pétard, tout lui devient harmonie pour célébrer ses joies. »
Cinquante chaises brisées !... cela représente un assez joli total de bâtons, dont l'existence, au milieu de cette cohue en délire, devait offrir un parfait modèle de désordre et d'agitation, bien digne de rester proverbial.
Sans nous exagérer la valeur de cette hypothèse, qui s'appuie sur un fait certain, nous la croyons préférable à celles qui ont été proposées jusqu'ici.