L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux. Le deuxième morceau des Méditations poétiques de Lamartine est intitulé : L'homme.
L'auteur s'adresse à lord Byron et le conjure, en des vers d'une admirable harmonie, de se soumettre à la volonté divine qui interdit à l'homme de tout connaître. Descends, dit-il,
Descends du rang des dieux qu'occupait ton audace ;
Tout est bien, tout est bon, tout est grand à sa place ;
Que celui qui l'a fait t'explique l'univers...
Borné dans ses désirs, infini dans ses vœux,
L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux.
Lamartine publia ce premier volume de Méditations en 1820, à l'âge de trente ans.
« La crainte fit les dieux, l'audace a fait les rois. »
Ce vers de Crébillon semble avoir été inspiré en partie par un vers de Stace, qu'on a parfois attribué à Lucrèce.
Louis XVIII partageait cette erreur, comme le rappelait M. Cuvillier-Fleury recevant M. X. Marinier à l'Académie française (7 déc. 1871), à la place de M. de Pongerville.
« On sait, disait-il, que l'auteur de la Charte s'était donné le luxe innocent des citations latines et des à-propos érudits. « Comment avez-vous traduit ce vers de Lucrèce ? » dit-il un jour à M. de Pongerville, qui reçut, ne s'y attendant guère, la question et le vers en pleine poitrine : Primus in orbe deos fecit timor...
» Le traducteur n'hésite pas une minute et répond :
La crainte sur la terre a créé les faux dieux.
« Les faux dieux ? » dit le roi, « allons donc ! » Le texte de Lucrèce n'en dit pas tant. — C'est vrai, Sire, c'est un vers à refaire, » et en réalité Pongerville avait improvisé sa réponse. Le vers était de Stace, dans la Thébaïde (liv. III, v. 661). Le roi avait fait une fausse citation. Le poète le savait et n'avait pas osé le dire au roi... Politesse, non de courtisan, mais d'homme bien élevé. »
Nous ajouterons que le vers de Stace (61-96 de J.-C.) se trouvait déjà dans un fragment attribué à Pétrone (mort l'an 67 de J.-C,), et intitulé : Timor, deorum origo.(Éd. Panckoucke; Pétrone, t. II, p. 237.)
« Mon Dieu-je ! »
Théodore de Banville, dans un article que reproduisait l'Almanach parisien de Fernand Desnoyers (année 1860, p. 57), rappelle ce mot, ou, si l'on veut, ce tic de Lassagne, acteur des Variétés, mort en 1863. Il disait aussi, à la grande joie du public : « Seigneur-je », et « Désespoir-je. »
« Ce qu'il y a de plus extraordinaire aujourd'hui, écrivait Banville, c'est le MON DIEU-JE ! de Lassagne. »
Cet artiste, plus particulièrement chargé des rôles de paysans et de troupiers, avait pu contracter ces tics en imitant le parler gauchement prétentieux que l'on prête aux campagnards.
On dit bien : Que sais-je ? Que vois-je ? Pourquoi ne pas dire aussi bien ; Où cours-je ? D'où sors-je ? Que perds-je ? Au besoin même, pour cette dernière expression, on pourrait invoquer l'autorité du grand Corneille lui-même, qui faisait dire à Aglatide dans sa tragédie d'Agélisas :
Ne perds-je pas assez, sans doubler l'infortune ?..
(1666, acte II, sc. VII, vers 842.)
Pourquoi s'arrêter en si belle voie et, au lieu du vulgaire mon Dieu ! ne pas aller comme Lassagne jusqu'à mon Dieu-je ! N'est-ce pas mille fois plus gracieux ?
Mais qui se souvient aujourd'hui des tics de Lassagne ? Qui se souvient du gnouf ! gnouf ! de Grassot ?... C'est le sort des acteurs de mourir tout entiers.
« Rappelez-vous, disait Kean à miss Anna dans la pièce de Dumas, que l'acteur ne laisse rien après lui, qu'il ne vit que pendant sa vie, que sa mémoire s'en va avec la génération à laquelle il appartient, et qu'il tombe un jour dans la nuit... du trône dans le néant... »
(Kean ou Désordre et génie ; Variétés, 31 août 1836 ; acte II, sc. IV.)
Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer.
Au plus fort de la Terreur, Robespierre reprit à son compte la formule créée par Voltaire.
Prenant la défense de la liberté des cultes, à la séance des Jacobins du 1er frimaire an II (21 novembre 1793), il prononça ces paroles qu'on ne s'attend peut-être pas à rencontrer dans la bouche d'un tel homme ;
« Celui qui veut les empêcher (les prêtres de dire la messe) est plus fanatique que celui qui dit la messe...
» L'athéisme est aristocratique ; l'idée d'un grand Être, qui veille sur l'innocence opprimée, et qui punit le crime triomphant, est toute populaire... Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer. »
(Moniteur universel du 6 frimaire, réimpr., p. 508.)