« Fils de saint Louis, montez au ciel ! » Ainsi se serait exprimé l'Abbé Edgeworth de Firmont, confesseur de Louis XVI, lors qu'il accompagna au pied de l'échafaud le malheureux prince que Michelet a eu le triste courage d'appeler le « faux martyr ». (Histoire de la Révolution française., t. VI, 1878, p. 29l.)
Cette belle parole, que tant d'historiens ont répétée, a été l'objet de plusieurs études critiques, parmi lesquelles nous citerons celle de M. Louis Combes, dans ses Episodes et curiosités révolutionnaires (1872, p. 236-247), celle M. Edouard Fournier (l'Esprit dans l'histoire, 5e édition, p. 379), et celle de M. Du Fresne de Beaucourt, dans la Revue des questions historiques du 1er octobre 1892 (p. 564 à 576).
Il résulte des nombreux documents recueillis par les deux premiers de ces auteurs que l'abbé Edgeworth n'a rien dit de semblable. Il aurait affirmé lui-même qu'il n'en avait gardé aucun souvenir, et le mot aurait été inventé dans un souper, le soir de l'exécution. M. Combes ajoute ce détail :
« M. Michelet, rapporte qu'un de ses amis, fort jeune alors, l'a entendu faire. Deux journalistes, le jour de l'exécution, dînaient dans un des pavillons de restaurateur à l'entrée des Champs-Elysées. « Qu'aurais-tu » dit à la place du confesseur ? dit l'un d'eux. — Rien de plus simple; j'aurais dit : Fils de saint Louis, montez au ciel ! »
(M. Combes ne nous dit pas à quel ouvrage de Michelet il emprunte ces lignes, qui ne figurent pas dans son récit de la mort du roi.)
Ce témoignage est d'autant moins négligeable qu'il se trouve nettement confirmé par un passage des Mémoires du baron d'Haussez, ministre de la marine à la fin de la Restauration (1778-1854).
A propos d'une statue de Louis XVI allant au supplice, dont le projet avait été adopté eu 1824, il écrit dans une note (t. II, p. 20) :
« Le comte Beugnot m'a, à ce sujet, rapporté l'anecdote suivante : « Le jour de la mort du roi, dit-il, j'étais avec quelques amis qui partageaient ma douleur. L'idée vint à un de nous d'ennoblir ce qui était si affligeant, et il proposa de mettre dans la bouche du prêtre qui accompagnait le monarque, le mot vraiment sublime qui a fait une si grande fortune. L'abbé Edgeworth a dû être bien surpris en voyant le lendemain dans les journaux que son cœur avait été si bien servi par son esprit. »
On a cru longtemps que l'auteur du mot, était Charles Mis, qui rédigeait alors le Républicain français. M. Fournier est d'avis qu'il faut en restituer la paternité à Charles Lacretelle, dit Lacretelle jeune. Voici comment cet historien s'exprime, dans ses Dix années d'épreuves pendant la Révolution (1842, p. l.'134) :
« Je lis dans l'un des journaux du temps, soumis à l'unique censure de la guillotine, un récit des derniers moments de Louis XVI. Comme c'était alors presque le seul où respirât de l'intérêt pour l'auguste victime, il fut généralement copié et traduit dans plus d'une langue. C'est là que se trouve le mot attribué au confesseur du roi, l'abbé Edgeworth... J'en ai cherché depuis vainement l'auteur. Je ne me crois pas assez éloquent pour l'avoir trouvé, et il me semble que le souvenir d'une telle invention, ne doit point se perdre; j'ai pu avec franchise l'insérer dans mon Histoire de la Convention, qui parut d'abord sous le titre de Précis historique. (1806). »
M. Combes a inutilement cherché l'article en question dans les journaux du temps. Il a trouvé le mot pour la première fois reproduit, sous une forme un peu différente, au bas d'une gravure des Révolutions de Paris, qui se rapporte au n° 185 (19-26 janvier 1792), mais qui ne dut paraître que dans le courant de mars, avec le numéro 192.
M. Fournier nous assure que Ch. Lacretelle, moins modeste dans l'intimité, se reconnaissait volontiers l'auteur de la belle parole attribuée à l'abbé Edgeworth. Un tel aveu fait plus d'honneur à son imagination d'artiste qu'à sa conscience d'historien.
M. le marquis de Beaucourt n'attache qu'une médiocre valeur à l'attribution nouvelle produite par M. Fournier, et passe sous silence les témoignages rapportés par Michelet et par M. d'Haussez. Il cite un grand nombre d'extraits empruntés à divers historiens et narrateurs, qui ont reproduit le mot conformément à la tradition. Malheureusement, il est à remarquer qu'aucun de ces documents n'émane d'un témoin pouvant affirmer qu'il a entendu l'abbé Edgeworth prononcer la fameuse phrase. Aussi hésite-t-il avec beaucoup de raison à conclure d'une manière positive à son authenticité.
« Il est avec le ciel des accommodements. »
C'est ainsi que l'on cite ordinairement une parole que Molière a mise dans la bouche de Tartuffe sous cette forme :
Le Ciel défend, de vrai, certains contentements ;
Mais on trouve avec lui des accommodements.
(Le Tartuffe ou l'Imposteur, 1664, acte IV, scène V, vers 1487-1488.)
La forme généralement adoptée pour cette citation se trouve dans la Lettre sur la comédie de l'Imposteur (1667), qui a été attribuée à Molière et que l'on a souvent jointe à cette pièce. (Ed. Regnier, t. IV, 1878, p. 548.)