« Écorner son capital. » Assimiler l'honneur des filles à une richesse, à un capital, est une comparaison qui se présente assez naturellement à l'esprit, dont on s'est souvent servi, et peut-être doit-on renoncer à découvrir l'écrivain qui l'a le plus anciennement employée. Nous rappellerons seulement que l'expression « écorner son capital » et ses nombreuses variantes, étaient devenues fort à la mode à la suite de la publication, dans l'Opinion nationale du 8 octobre 1875, d'une lettre de M. Alexandre Dumas fils relative à l'affaire Marambat. Voici en peu de mots de quoi il s'agissait :
Le jeune Henri Robert avait séduit et rendu mère Mlle Jeanne Marambat. M. Marambat père, après l'avoir inutilement sommé de réparer ses torts par le mariage, avait tué le séducteur (30 septembre). Le 4 octobre, cette tragique histoire avait été rapportée clans le journal de M. Guéroult, par M. Alfred Delilia.
Alexandre Dumas, en moraliste d'une parfaite droiture, prenait chaudement la défense du malheureux père. Trois ans auparavant, dans une brochure célèbre, il avait crié au mari trompé : « Tue-la! » Cette fois, se faisant le porte-parole de tous les gens de cœur, il disait au père de famille outragé : « Tue-le ! », soutenant cette thèse que, la loi étant impuissante à le protéger, il avait le devoir de se faire justice lui-même.
« Une propriété, disait-il, et un capital doivent-ils être protégés par une loi ?
» Oui.
» L'honneur d'une fille est-il une propriété et sa virginité est-elle un capital ?
» Oui.
» Propriété d'une telle importance, capital d'une telle valeur, que quand cette propriété a été aliénée ou dérobée, que quand ce capital a été dispersé et détruit, il n'y a rien, absolument rien, dans tout l'univers, qui puisse les remplacer. »
« Obtenez, dit-il encore, qu'il y ait une loi à peu près conçue en ces termes :
» La virginité des filles est un capital.
» Tout homme qui sera convaincu de s'être, par n'importe quel autre moyen que le mariage, approprié ce capital,... sera condamné à des dommages-intérêts... »
La lettre de M. Dumas fils a été rééditée en 1879, dans la 3e série de ses Entr'actes.